mardi 3 mars 2020

Guy RAPP et le Castel-Théâtre (1/3)

L’implication des prisonniers de guerre dans les activités théâtrales et orchestrales était quelque chose d’assez universel en captivité. On retrouve des troupes de théâtre dans chacun des stalags et dans une moindre mesure dans les Kommandos de travail (camp détaché du camp principal : le Stalag) où le nombre de prisonniers le permettait. Le Stalag IV A ne faisait pas exception et abritait de nombreux artistes qui prirent en charge ces activités. Charles Edmond AUZANNEAU (1900-1956 – matricule 10799), plus connu sous son nom de scène Guy RAPP en est un parfait exemple.   
 .

Les débuts de Guy RAPP comme comédien (1925-1939) 


Guy RAPP

Guy RAPP naît le 29 mars 1900 à Paris dans le 7e arrondissement. Il est le fils de Louis Jules AUZANNEAU et Marie Marthe MILLIERE. Malgré un début de carrière dans la comptabilité, qui deviendra sa spécialité lors de son service militaire (Maréchal des Logis Chef comptable), il se lance comme artiste comédien dès 1925. Il débutera sa carrière théâtrale dans La Comédie du Bonheur de Nicolas EVREINOFF au Théâtre de l’Atelier[1]. En 1931, repéré par Tristan BERNARD[2], il est sur les planches de son théâtre[3] où il joue La Partie de Bridge[4], La Crise Ministérielle ou encore Le Sauvage. En 1933, il débute sa carrière au cinéma et joue des seconds rôles dans plusieurs films tels que Les Surprises du Sleeping de Karl ANTON[5] ou Touche-à-tout de Jean DREVILLE où il joue un réceptionniste. Entre 1933 et 1934, il joue au Palais‑Royal de Paris dans la pièce comique La Famille Vauberlin[6][7] et Un Trou dans le Mur[8] puis en 1935, le rôle de Victor Fidoux dans la pièce La Dame de Vittel[9]. En 1936, Guy RAPP dirige le Théâtre des Cadets, il y fait la connaissance de Paul VANDENBERGHE (1916-1961), un jeune auteur amateur[10] qui est parti sans le sou de Sedan pour tenter une carrière artistique sur Paris. Ce‑dernier à son retour de service avait écrit Les Enfants Sages et cette pièce est montée aux Cadets : ce sera un véritable succès[11]! Paul VANDENBERGHE est même contacté en aout 1938 par le célèbre Paul ARMONT[12] pour co-écrire une pièce : Garçons, Filles et Chiens[13]. Dans le même temps, il propose au Théâtre de la Potinière (appelé plus tard, Théâtre Georges VI), une pièce qu’il a écrit dans sa jeunesse : J’ai 17 ans. Guy RAPP monte et joue cette pièce avec Paul VANDENBERGHE pendant 9 mois de 1938 à 1939[14] : 400 représentations, un succès total qui mit les 2 acteurs en lumière et leurs permirent de monter Fanouche en 1939[15] au Théâtre de l’Etoile[16] avec la troupe des Jeunes Comédiens Associés. Paul fera part de son futur projet d’écrire une nouvelle pièce et en racontera les grandes lignes à Guy RAPP, c’est les prémices de Gringalet.
.

Début de la Guerre (1939-1940) 

Ils joueront jusqu’au début de la guerre où ils seront, comme tous les hommes aptes au combat, mobilisés. Malgré tout, le Maréchal des Logis-Chef RAPP animera avec le Maréchal des Logis-Chef Edmond DAYNES, un groupe d’artistes mobilisés : le G. M. 39. Ils joueront dans quelques représentations caritatives comme la représentation des 27 et 28 janvier 1940 au Théâtre de la Montansier à Versailles. La première journée gratuite est consacrée au divertissement des troupes et la seconde payante est consacrée à L’œuvre du Colis de Trianon-Versailles qui vient en aide aux soldats défavorisés. Ils y joueront Les Enfants Sages de Paul VANDENBERGHE, qui lui est à la guerre et Une Soirée chez la Montansier, tableau musical de Guy RAPP[17].
 .

Internement au Frontstalag 133 de Rennes (1940)

En juin 1940, ils sont faits prisonniers. Guy RAPP est interné à Rennes dans la caserne du Colombier (Frontstalag 133) où semble déjà se produire un orchestre créé par le prisonnier R. P. JAMEUX, qui joue chaque semaine en soirée ou en matinée. Léon FERRERI (11932), chef d’orchestre, compositeur et violoniste, Charles SCHAAF, compositeur et saxophoniste qui joua sur le Normandie et le Docteur HERMANN, médecin auxiliaire et bon violoniste en font partie. 

Musiciens au Théâtre de la caserne du Colombier (c) Collection personelle

Les autorités allemandes avaient permis l’amélioration des divertissements. Les décors et costumes ont été fourni par la Maison Briand costumier-décorateur rennais. Les instruments et partitions ont été fourni par la Maison Bossard-Bonnel luthiers et marchands de musique et la Maison Duros spécialisée dans les pianos et implantée dans le quartier du Colombier. Guy RAPP apporte une aide non négligeable pour la formation d’une troupe théâtrale autour de ces musiciens. La troupe « Le Théâtre du Colombier »[18] se compose de Charlix, Nénesse et Mimile (André MILLE (11833)), Fricquegnon, Jean LAPORTE alias Jeannot (10542) que Guy RAPP a connu aux Cadets, Max BRUNER (10896), Edouard DARDENNE (11031), Raymond POURTOY (11821), METADIER, Pierre DESFRICHES DORIA (1918-2005 - 11447), LEBERTIER, Claude DREHER (11758), GILLET, François CARPOT (11290), Pierre CHARTRE (10435), André GUERET (11470), COUDRAN, Alain ARNAL (11137), TUGUEL, COLLARD, LAVERDINE, FABRE, DELFIEUX et bien d’autres. Raymond TELLIER (2889), peintre primé à Rome, PIED et MONTEIL s’occupent des décors et BERTON prend le rôle de machiniste. S’enchaînent alors les représentations, comédies, revues, opérettes ... En dehors du célèbre Deux Couverts de Sacha GUITRY, on y retrouve la touche personnelle de Guy RAPP : Le Triomphe de la Science de Tristan BERNARD, un de ses anciens directeurs de troupe ; L’Impromptu du Colombier qu’il a écrit au début de sa captivité rennaise ; Une soirée chez la Pompadour[19] de Guy RAPP et instrumentalisée par Jean GAURET et Léon FERRERI dont le spectacle a été, d’après un témoin, « tout simplement merveilleux »[20] ; Et enfin Garçons, Filles et Chiens de Paul ARMONT et Paul VANDENBERGHE, son ami avec qui Guy RAPP ne semble pas avoir eu le temps de monter la pièce à Paris avant la captivité. Le succès est encore là, les prisonniers en redemandent et il faut même recommencer 3 soirs de suite début novembre 1940. La cour du Colombier laissait échapper de vives acclamations[21]. Parmi les acteurs, j’insiste sur un jeune artiste parisien, Jean LAPORTE alias Jeannot, qui d’après les journaux de l’époque est une vraie révélation ainsi que sur Charles SCHAFF le saxophoniste qui crée plusieurs œuvres au Frontstalag 133. Les titres de ses compositions étaient choisis par l’assemblée des prisonniers comme Marche 1989 ou Chant Colombier[22] !


Jean LAPORTE alias JEANNOT

Internement à Elsterhorst (Stalag IV A) - Naissance du Stalagtite (1940-1941)


Quelques jours après l’énorme succès théâtral de Garçons, Filles et Chiens, plusieurs convois transfèrent près de 5000 prisonniers[23] du Frontstalag 133 vers l'Allemagne (2-7 novembre, 8-11 novembre ...). Les deux acteurs Guy RAPP et Jeannot (ainsi que d'autres comme Mimile) se retrouvent au Stalag IV d’Elsterhorst où ils seront immatriculés. Guy RAPP fera la connaissance de Georges FAGOT. Lui, semble prisonnier dans ce camp depuis plus longtemps. Dans un premier temps, « des chaises ou des tables servent d’abord de scène aux chanteurs et même aux acteurs ». On y trouve par exemple Joseph MARCHALL, chansonnier d'Elsterhorst[23b]. En août 1940, il fonde un semblant de troupe sous une tente et joue chaque dimanche, ses premières pièces improvisées autour de tréteaux dans une des baraques en bois construites par les polonais du camp. La petite troupe de théâtre amateur est fortement aidé financièrement par les officiers de l'Oflag IV D (2ème partie du camp), ce qui lui permet d’acquérir un piano et divers éléments orchestraux. Les autorités allemandes permettent à la troupe de créer une scène dans une baraque en ciment. Dans cette baraque « à demi-vidée, le théâtre s’équipe et multiplie les spectacles : l’élégance et l’esprit français y reparaissent. Entre 5 et 7, il arrive qu’un conférencier prenne possession du plateau (...) l’ingéniosité aidant, de véritables théâtres vont se monter avec jeux de lumière, machinerie. Je ne puis raconter ici les objets les plus hétéroclites utilisés pour ensuite se transformer et devenir théâtre digne des meilleurs acteurs professionnels ou amateurs »[24]. Le 7 novembre 1940, les prisonniers rennais arrivent à Elsterhorst. Guy RAPP et Jeannot intègrent la petite troupe de comédiens de Georges FAGOT où est déjà le célèbre Jean-Roger CAUSSIMON, élève du Conservatoire de Paris et jouant au Trianon de Bordeaux. C’est ainsi que naquit « Le Stalagtite », le petit théâtre du Stalag IV A. Les représentations s’enchaînent pendant 2 mois, entre le 1er décembre 1940 et le 30 janvier 1941[25]. « Le rire s’est installé parmi nous, nous avons créé notre chasse-cafard ». Le spectacle initial mêle diverses productions scéniques : Dans la Rue, Le Cabaret du Gai Bouteillon, Une Soirée à l’A. B. C., Au Cirque ; 5 courtes pièces : L’Art d’être Courtier (de Max REGNIER, 1935), Asile de Nuit (de Max MAUREY), Seul ! (de DUVERNOIS), Bureau Central des Idées (de GHERI), Deux Couverts (de Sacha GUITRY) ; 3 pièces plus importantes : La Parodie de Faust (de FAGOT et CAUSSIMON), Knock ou le Triomphe de la Médecine (de Jules ROMAINS) avec le rôle de Knock attribué à Jean-Roger CAUSSIMON et enfin J’ai 17 ans dont il était question quelques paragraphes plus haut avec le rôle principal habituellement joué par Paul VANDENBERGHE qui a été attribué au jeune acteur du Frontstalag 133, Jeannot. La dernière représentation du « Stalagtite » se fera devant le Colonel MEUNIER, chef du camp et le Lieutenant-Colonel ALLAIN, président du Comité des Distractions de l’Oflag IV D[26].

Représentation de "J'ai 17 ans" avec de G. à D. : Mimile, Jeannot et Guy RAPP (c) Collection personnelle

Témoignage de Paul VANDENBERGHE sur la difficulté de l'écriture en captivité (1940)


Paul VANDENBERGHE bien qu’interné au Stalag X B, racontera en 1942 un témoignage intéressant sur les difficultés d’écrire dans un camp de prisonniers. « J’avais pour me tenir compagnie, un millier de camarades. Un millier d’hommes entassés dans un séminaire, situé à l’extrémité de cette petite ville polonaise, blanche de neige six mois sur douze. (...) Dans notre chambrette nous étions 17 ; Dix-sept braves compagnons (...) Pourquoi n’écrirais-tu pas une nouvelle pièce ? me dit un jour Jean-François MEHU. Dans tout ce bruit ? ... d’abord je n’ai pas de papier et l’unique table est toujours occupée. C’est le lendemain qu’eut lieu le miracle. Dans le seul coin disponible de la chambre, j’aperçus en entrant un petit guéridon, une chaise et sur le guéridon deux gros cahiers neufs et seize visages réjouis qui avaient faussement l’air d’être ailleurs. Cette complicité dans la gentillesse, cette fraternelle attention, cette simplicité surtout... oui ce jour-là, je fus bien heureux. ». Guy RAPP l’avait encouragé à se lancer depuis le Stalag IV A « Ecris ! Ce sera pour toi la plus belle des évasions. ». « J’eus du mal à prendre mon essor ! Le bruit était permanent et je dus écrire les premières scènes les oreilles bourrées de coton hydrophile. Puis, peu à peu, je m’habituai au brouhaha et je pus me passer de ce stratagème. (...) A 9h, toutes les lumières étaient éteintes, sauf dans les couloirs. Vers 10h, tout le monde ou presque dormait. (...) Je fumais des cigarettes en pensant aux scènes à venir. Des répliques me venaient, que je craignais de ne plus retrouver le lendemain. Alors j’enfilais ma capote et me glissais sans bruit dans le couloir où j’écrivais à la lueur d’une lumière trop discrète à mon goût ». Les camarades de chambrée s’en inquiétaient « c’est intelligent de se balader à minuit dans un couloir ! Quand tu auras attrapé une bronchite ! (...) Prends ma capote. (...) On est en Pologne ici, ne l’oublie pas ! » [27]. Ce témoignage présente l’idée du camp où des myriades d’hommes grouillent et où le bruit de chacun forme une cacophonie permanente : les passages dans les couloirs, les gens qui parlent, les rires, les joueurs de cartes, les acteurs sur les tables, le bruit des gamelles, des bagarres ....

Paul VANDENBERGHE


(A suivre)  

Si vous connaissez des personnes mentionnées dans ce texte
Si vous connaissez des personnes qui ont été internées au Stalag IV A
N'hésitez pas à laisser un commentaire avec les détails connus :
NOM, Prénom, Matricule, Stalags, Kommandos, activités ...
ou me laisser un message sur ma messagerie : stalag4a@gmail.com 

Merci de votre visite ! 




[1] Ciné-Miroir n°831 du 21 mars 1947 (Site des Bibliothèques spécialisées de Paris)
[2] Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 16 janvier 1932 (BNF)
[3] Théâtre Tristan-Bernard puis en 1932 Théâtre Albert Ier
[4] Le Ménestrel du 30 janvier 1931 (BNF)
[5] Cinémonde n°266 du 23 novembre 1933 (Site des Bibliothèques spécialisées de Paris)
[6] La Liberté du 6 décembre 1933 (BNF)
[7] L’Homme Libre du 18 janvier 1934 (BNF)
[8] Figaro du 16 aout 1934 (BNF)
[9] Comoedia du 17 mars 1935 (BNF)
[10] Vedettes du 29 novembre 1941 (Cineressources.net)
[11] Figaro du 16 novembre 1936 (BNF)
[12] Dimitri Petrococchino, alias Paul Armont (1874-1943)
[13] Recueil « Garçons, filles et chiens » de Paul Armont et Paul Vandenbergue (BNF – 8-RSUPP-1051)
[14] Recueil « J’ai 17 ans » de Paul Vandenberghe (BNF – 8-RSUPP-1053)
[15] Notre Temps du 12 mars 1939 (BNF)
[16] Le Populaire du 8 mars 1939 (BNF)
[17] La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz du 22 janvier 1940 (Retronews)
[18] Dans les journaux, elle est appelée « Le Nouveau Théâtre du Colombier » soit par erreur, soit parce que l’arrivée de Guy RAPP a permis d’améliorer la troupe orchestrale.
[19] Soit il y a erreur et c’est Une Soirée chez la Montansier, soit c’est un remake de sa première création
[20] L’Ouest-Eclair du 16 novembre 1940 (BNF)
[21] L’Ouest-Eclair du 8 novembre 1940 (BNF)
[22] L’Ouest-Eclair du 7 décembre 1940 (BNF)
[23] Livre Souvenir de l’Oflag IV D
[23b] Le Moineau n°119
[24] L’Ame des Camps (BNF – NAF 17281)
[25] Programme de 1941 de la Tournée du Castel-Théâtre
[26] Livre Souvenir de l’Oflag IV D
[27] Comoedia du 22 aout 1942

Article rédigé en février 2020 par Kévin MURET

1 commentaire: