dimanche 29 mars 2020

Guy RAPP et le Castel-Théâtre (2/3)

Déménagement des services administratifs du Stalag IV A (1941)

En février 1941, les services administratifs du Stalag IV A sont transférés dans le château d’Hohnstein. La troupe qui à Elsterhorst pouvait divertir jusqu’à 16.000 prisonniers se retrouve dans un château de 200-400 prisonniers sans plus de public... Les milliers de prisonniers d’Elsterhorst sont répartis dans les Kommandos du Stalag IV A ou transférés dans d’autres Stalags. Dans l’optique de divertir les prisonniers de la région, et sous le contrôle des allemands, la troupe de théâtre va entamer une tournée des Kommandos chaque samedi et dimanche matin. Le « Stalagtite » prendra un nom plus adapté à leur nouvelle résidence : « Le Castel‑Théâtre ». L’Oflag IV D d’Elsterhorst continuera à aider financièrement la troupe.
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La 1ère tournée (février 1941 – juin 1941)

Durant le premier mois de captivité à Hohnstein, Guy RAPP, Georges FAGOT et les acteurs/musiciens professionnels et amateurs vont préparer un spectacle qui sera leur 1ère tournée des Kommandos. Les représentations se feront du 23 février à juin 1941 : 35 représentations devant 18.000 prisonniers[1]. Les allemands mettront à disposition de la troupe, un camion qui leur permet de transporter une petite scène démontable, les décors, les costumes et leurs instruments.

Direction les Kommandos - Dessin de SCHAEFFER - Colorisé par moi-même

A la présentation du spectacle, le directeur de la troupe Guy RAPP anime les différents tableaux qui s’enchaînent sur la scène. L’Orchestre dirigé par THOUVENEL amorce le spectacle avant la parodie des Folies Bergères parisiennes où se produisent les célèbres « girls » nues. Ici, pas de femme, mais des hommes travestis pour l’occasion appelés les « Ersatz’Girls » des Folies Castel avec la Bluette jouée par Louis GERMAINE, Idylle jouée par JEANNOT et la danseuse jouée par Raymond SOUQUIERE. Georges FAGOT poursuit le spectacle avec ses chansons sur les prisonniers[2] suivi par Georges GOODLAD et ses chansons de charmes. Pour faire rire les prisonniers, CAMBOU enchaîne un spectacle comique et Guy RAPP, Jean-Roger CAUSSIMON et Jeannot font des sketches comiques. Le « Stalag’Circus » prend place avec deux acrobates des grands cirques européens surnommés Arthénis et Léoncis et les deux clowns qui se produisaient déjà au Frontstalag 133 de Rennes, Mimile (Charles DEKUYPERE) et Nénesse. Pierre FALK de la Gaité-Lyrique de Paris et Francisque CHEVALLIER du Théâtre National de l’Opéra se lancent ensuite dans des élans lyriques. Enfin, la pièce de théâtre en 3 actes Parodie de Faust imaginée par Georges FAGOT et Jean-Roger CAUSSIMON en novembre 1940 à Elsterhorst est jouée par Raymond SOUQUIERE dans le rôle principal de Faust, CAMBOU dans celui de Siebel, Jean-Roger CAUSSIMON dans celui de Méphisto, Pierre FALK dans celui de Valentin et Georges FAGOT dans celui de Marguerite[3]. Tous les costumes et accessoires ont été confectionnés par OSTROUSKY, Jean MARTIN et QUEMA de grandes Maisons parisiennes. Les menuiseries ont été produites par BOUSQUET et RAYNAUD et Henri SCHAEFFER, sociétaire et médaillé des « Artistes Français » a peint le rideau, les décors et illustré le programme.

Le Castel-Théâtre jouera également quelques représentations à la forteresse de Königstein vers juillet 1941 devant les officiers où de nombreuses photos seront prises et publiées dans un journal (entre le 15 et le 23 août 1941 – je lance un appel si quelqu’un retrouvait de quel journal il s’agit ?). J. GIOT y prendra la direction de l’Orchestre, THOUVENEL semble avoir été rapatrié[4].

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Tous les tableaux sont accompagnés par l’Orchestre dont voici la liste des artistes :

  • THOUVENEL, premier violon et chef d’orchestre
  • LION, professeur de musique, premier violon
  • BETTON, deuxième violon
  • André BAUCHY, saxophoniste (de l’orchestre du Normandie)
  • BEAUCHET, saxophoniste (du Lido) et ténor
  • JOLLIVET, saxophoniste amateur
  • J. GIOT, trompettiste (Prix du Conservatoire de Paris)
  • di BERNARDO, guitariste
  • COUSSEAU, joueur de banjo
  • LEVESQUE, accordéoniste
  • René JHECK à la batterie
  • Lucien GRAU-MONTMANY, pianiste (du Conservatoire de Paris)
  • ANTOINE, compositeur, reconstituera des partitions pour les artistes
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La 2ème tournée (juillet 1941 – décembre 1941)

A partir de juillet 1941, une 2ème tournée sera mise en scène. La Croix-Rouge Française mettra à disposition du Castel-Théâtre, un camion pour la tournée qui remplace le camion prêté par les Allemands. Cette tournée totalisera 40 représentations devant 20.000 prisonniers et 4 représentations exceptionnelles devant les généraux et amiraux français de Königstein[5].

Dessin de SCHAEFFER d'une "Girls" découvrant le rideau sur Hohnstein

Le spectacle a été monté par Guy RAPP. Il quittera Hohnstein à la fin de l’année et sera rapatrié en France laissant les rênes du Castel-Théâtre à Jean-Roger CAUSSIMON. Le programme complet de cette tournée ne m’est pas connu mais Raymond SOUQUIERES y jouait encore dans la majorité des tableaux : dans « Pan dans les ans » une revue de Georges FAGOT et Jean-Roger CAUSSIMON, dans le Ballet des Heures (une « girls »), dans la pièce Cornélie où il avait le rôle principal, puis jouait la Ninon du moyen-âge, un coq et dans la scène finale du spectacle appelée « La Classe ». Il aime jouer et le dit « Le travail c’est la Liberté »[6] ! Ils joueront également "L'Oeil qui Goûte" et "Le Temps Moderne".

De gauche à droite : Georges FAGOT (Lidya), Jean-Roger CAUSSIMON (Pomfonius), CAMBOU (Scipion), Guy RAPP (Horace), Raymond SOUQUIERE (Cornélie), JEANNOT (César). Merci à M. Bourguer pour cette superbe photo.
 

La 3ème tournée (mai 1942 – octobre 1942)

Après une pause de quelques mois, la troupe du Castel-Théâtre reprend du service pour une 3ème tournée qui devait s’étaler de mai à décembre 1942. Une panne du camion de la Croix‑Rouge écourte la tournée en octobre 1942. Pour autant, les artistes ont enchaîné 29 représentations devant 15.000 prisonniers[7].

Illustration d'André HERISSON pour la 3ème tournée

La direction artistique est toujours menée par Jean-Roger CAUSSIMON et la direction administrative du Castel-Théâtre revient à Raymond SOUQUIERE. Jean-Roger CAUSSIMON présente le premier tableau musical intitulé « En Flânant sur le Vieux-Port » suivi par le traditionnel spectacle acrobatique et comique avec Emilios et Arthénis dit « Les Emilios » de Bobino et Di BERNARDO. André JOLY poursuit le spectacle par quelques chants fantaisistes et Mimile et Nénesse font les clowns. Une pièce lyrique du « Carmen » de Bizet est ensuite jouée par Pierre FALK (Escamillio), BALCON (Don José), Raymond SOUQUIERE (Carmen), Jean LAPORTE dit Jeannot, André GUERET, Pierre LABEZAN, André JOLY, Paul MATHOU, André BAUBIER, Francisque CHEVALLIER et autres. L’entracte musical ouvre sur une comédie « A Louer Meublé » de Gabriel d’Hervillez et jouée par Jean LAPORTE (Jojo), Raymond BOUSQUET (Dédé), André GUERET (Prentout), Pierre LABEZAN (Hortense) et Jean-Roger CAUSSIMON (Tuboeuf). Enfin, Antoine GILIS prend la direction de l’Orchestre pour un spectacle de Jazz. 

Les décors ont été fait par André HERISSON qui a remplacé SCHAEFFER ; les costumes par Roger HOLDERBACH, MARTINEAU et BAUDET ; les perruques par CASTANIE. La régie et la machinerie ont été dirigé par Jeannot et Raymond BOUSQUET[8].

A la fin de la tournée, ils jouent au Palais des Expositions de Dresde devant 1300 prisonniers français et belges la comédie « Les Romanesques » d’Edmond ROSTAND[9]et d’autres pièces à d’autres occasions particulières de Molière, Courteline, Jules ROMAINS, Marcel PAGNOL, Jean SARMANT ou encore Armand SALACROU. Ce-dernier recevra une missive de Jean-Roger CAUSSIMON qui lui rapporta ses choix artistiques et la mise en scène de sa récente pièce « La Marguerite »[10] : « Je pense que cela vous amusera d’apprendre que La Marguerite a été créée dans un camp de prisonniers au Stalag IV A. Que je vous rassure... Pas mal de théâtres de prisonniers montent des ouvrages très difficiles avec une inconscience devant laquelle on ne sait s’il faut réagir avec des reproches ou beaucoup d’indulgence. J’ai 24 ans, le prix de comédie du Conservatoire de Bordeaux, trois ans de troupe en cette ville et le bénéfice des conseils qu’à Paris, avant la guerre, me donnèrent Jouvet et Marchat. J’ai ici, deux, trois copains qui travaillent dur avec moi. Nous avons consacré à La Marguerite, La Margot comme nous l’appelions familièrement, deux mois et demi de travail quotidien. J’ai 1 m. 84 (compositions) et je n’aurais qu’un regret s’il me fallait mourir ce soir ou demain, qu’un seul... en pensant au Théâtre... Je vous dis tout cela pour que vous ne pensiez pas : « Ils sont bien gentils...mais comme ils ont dû la maltraiter ». Donc le mercredi 16 septembre 42, en présence du capitaine De Lachapelle, La Marguerite a été extrêmement écoutée et votre nom longuement applaudi lorsque j’eux prononcé la phrase rituelle... Je n’ai pas suivi à la lettre vos indications. J’ai placé l’escalier au fond. Il mène à la chambre du Vieux ; tourne à angle droit. Ai-je eu tort ? ... Eclairage par lampe jaune sur la table et diffuseur blanc. Ombres mouvantes sur décor gris. Sensation perçue par le public : oppression croissante. A l’acte de foi de Marguerite, émotion salvatrice... Mon camarade Jeannot LAPORTE, découverte de Guy RAPP qui fut longtemps des nôtres, jouait le docteur. Paul MATHOU un gars des Charentes à la voix grave était l’Homme. J’ai joué de tout mon cœur, de toutes mes forces, le Vieux. ».

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Anecdote : l’une des représentations a été enregistrée pour une diffusion en France à Radio-Paris avec Jean-Roger CAUSSIMON comme acteur principal. Le Docteur Jean CAUSSIMON, père de l’acteur prisonnier, entendra cette retransmission du spectacle avec beaucoup d’émotions[11].

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Tous les tableaux sont accompagnés par l’Orchestre dont voici la liste des artistes[12] :

  • André RELIN, trompettiste et chef d’orchestre (1er Prix du Conservatoire de Paris)
  • NETTER, violoniste (1er Prix du Conservatoire de Paris)
  • Emile LOMBARDY, violoniste (1er Prix de Conservatoire)
  • BETTON, violoniste (du Cercle Symphonique de Paris)
  • BARBOTEAU, violoniste (de l’Orchestre Fourestier)
  • Antoine GILIS, violoncelliste (1er Prix du Conservatoire de Liège), dirige les morceaux de Jazz
  • MARCHAND, contrebassiste (1er Prix de Conservatoire)
  • André BAUCHY, saxophoniste
  • BAUCHET, saxophoniste
  • JOLIVET, saxophoniste
  • Jean WUIBAUX, tromboniste (1er Prix du Conservatoire de Lille)
  • Di BERNARDO, guitariste
  • René JHECK, batteur (1er Prix International de Belgique d’accordéon)
  • Lucien GRAU-MONTMANY, pianiste


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[1] L’Âme des Camps, NAF 17281 (BNF)
[2] Il a écrit de nombreuses chansons en septembre 1940 à Elsterhorst dont « On mang’ des pommes de terre / kartoffein », « On nous a fait prisonniers » ou « Sans nouvelles »
[3] Programme de 1941 de la Tournée du Castel-Théâtre (Internet)
[4] Comoedia du 23 aout 1941 (RetroNews)
[5] L’Âme des Camps NAF 17281 (BNF)
[6] Le Moineau n°5
[7] L’Âme des Camps, NAF 17281 (BNF)
[8] Programme de 1942 de la Tournée du Castel-Théâtre
[9] Comoedia du 10 octobre 1942
[10] Le Figaro du 28 octobre 1942 (RetroNews)
[11] La Petite Gironde du 18 aout 1942 (BNF)
[12] Programme de 1942 de la Tournée du Castel-Théâtre

Article rédigé en marc 2020 par Kévin MURET

1 commentaire:

  1. Bonjour, merci pour vos recherches sur ces activités que je découvre.

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